L’Ateliê de Humanidades est heureux de publier l’entretien que nous avons réalisée avec B. Latour. L’entretien a été fait par André Magnelli (fondateur, directeur et libre-chercheur de l’Ateliê de Humanidades) le 4 novembre dernier. Elle porte sur la publication de Face à Gaïa au Brésil (Ateliê de Humanidades Editorial / UBU Editora, 2020), mais en plus elle tire et entrelace les fils les plus divers de l’œuvre de Latour : science, politique, sémiotique, religion, géopolitique et esthétique.
Nous sommes très reconnaissants à Latour de sa générosité, qui nous a accordé son temps pour cette entretien éclairante.
La vidéo que nous publions pour l’instant est en français et sans sous-titres en portugais. Il sera publié ultérieurement avec des sous-titres portugais.
Temos o prazer de publicar a entrevista que nós, do Ateliê de Humanidades (ateliedehumanidades.com), fizemos com Bruno Latour. Realizada por André Magnelli, fundador, diretor e livre-pesquisador do Ateliê de Humanidades, no dia 04 de novembro. a entrevista tem por motivação e eixo a publicação de Diante de Gaïa (Ateliê de Humanidades Editorial / UBU Editora), mas ela puxou e entrelaçou os mais diversos fios da obra de Latour: ciência, política, semiótica, religião, geopolítica e estética.
Somos muito gratos a Latour pela generosidade em disponibilizar seu tempo para a realização desta tão esclarecedora entrevista.
O vídeo que por ora publicamos está em francês e sem legendas. Posteriormente será publicado com legendas em português.
Présentation
Cher Bruno Latour, merci beaucoup d’avoir accepté de faire cet entretien. Nous, de l’Ateliê de Humanidades, sommes heureux de cet opportunité. Heureusement, la publication de Face à Gaïa est un succès commercial au Brésil. Cependant, comme il n’y a pas de débat intellectuel, ni de lutte contre les ennemis négationnistes, laissant des beaux livres sur les étagères, nous pensons que votre entretien sera une contribution importante à l’accueil de Face à Gaïa au Brésil, non seulement dans le milieu universitaire, mais aussi dans l’espace public.
Questions
Parlons nous du livre Face à Gaïa en tirant quelques fils que s’entrelacent avec votre travail précédent. Le premier fil peut être tissé à partir des problèmes de la nature, de la science et de la politique; après, nous parlerons de la religion, de la guerre et de la geopolitique.
- Commençons par une question très générale pour situer le public. Depuis “Nous n’avons jamais été modernes” et surtout “Politiques de la nature“, les questions d'”écologie politique” ont pris une place centrale, étant associées à votre critique des concepts modernes de la nature et de la science. Pourriez-vous nous parler un peu de la façon dont cette question émerge dans vos travaux jusqu´à l’irruption de question du Anthropocène ?
- Comme point de départ de Face à Gaïa, vous prenez une position très catégorique en défense des “faits établis” par les fragiles sciences, comme vous l’avez dit, des climatologues et des sciences de la terre. Certains considèrent votre position comme une distanciation, avec mea culpa, par rapport aux thèses originales des science and technology studies (STS). Après la post-verité, vous vous retireriez face au désastre que votre génération a contribué à gérer avec la relativisation des sciences… Bon, ah mon avis, ce n’est pas la question, car vos formulations sur la référence circulante et les processus socio-techniques de traduction et d’inscription restent le critère pour dire pourquoi les scientifiques peut dire choses que le climato-sceptiques ne peut pas. Mais j’aimerais vous écouter à ce sujet : qu’est-ce que les “science studies” constituent une bonne arme pour combattre le négationnisme galopant ?
- Dans l’Ateliê de Humanidades, nous avons un projet appelé Cartographies de la critique, qui réfléchit aux fondements, aux potentialités et aux limites de la critique au XXIe siècle. Nous partageons avec vous un malaise avec la pensée critique qui, piégée dans l’hyper-critique et l’hyper-inflation des crises, a une certaine responsabilité avec le climat intellectuel de dévastation générale. Mais si l’on se rappelle, avec Reinhart Koselleck et les philosophes anciens, que la critique est le processus et l’acte de décision face à la crise, face à une demande de la praxis, il me semble que c’est une activité incontournable de la pensée et de l’action. D’une certaine manière, si vous me le permettez, Face à Gaïa est un travail de critique et de diagnostic du présent; vous avez là fait même une proposition non-moderne des conceptions d’aliénation et de l’émancipation. Cela dit, que pensez-vous de la critique et du rôle des intellectuels et des scientifiques dans les sociétés contemporaines ? Dépend-elle de la culture de nouvelles relations entre savoirs et puissances de l’agir, comme dans les “humanités scientifiques”, dont vous parlez au Cogitamus, ou les “humanités environnementales”, comme le disent Jean Baptiste Fressoz et Christophe Bonneuil ?
- Arrivons au fil du discours. Pour moi, dans le sillage de l’épuisement du paradigme des représentations sociales et de l’analyse du “tout discours”, vous avez un rôle important (avec d’autres, comme Luc Boltanski) dans l’introduction de la rhétorique (au sens large et bon du terme) au sein des sciences sociales, articulée à la sémiotique et au pragmatisme en général. Ce contexte, qui entrelace la science, la politique et le droit, est présent dans les passages sur l’indissociabilité entre fait et valeur, description et prescription, etc. Quelle est l’importance de la rhétorique et de la sémiotique pour comprendre comment la science se fait entrelacée avec la politique et la démocratie, et comment le monde ne peut-il être compris qu’à travers une ontologie plurale et expérimentale ?
- Passons à un autre fil de son œuvre, celui de la religion, qui est central dans la Face à Gaïa. Dans “Politiques de la nature”, vous aviez déjà mentionné, au passage, qu’il fallait “séculariser” la conception de la Nature. Cependant, c’est dans Face of Gaia (et, bien sûr, dans Gifford Lectures) que vous faites une histoire qui restitue la construction d’une “théologie politique de la nature” dans la modernité. Nous sommes ici confrontés à une interprétation impressionnante en dialogue avec des auteurs tels qu’Eric Voegelin, Stephen Toulmin, Peter Sloterdijk, etc. Il me semble qu’il y a là deux objectifs conjugués : d’une part, montrer comment le modernisme a “perdu la matérialité” du monde avec l’ immanentisation du transcendant, et ainsi nous rendant insensibles à Gaïa et leur puissances d’agir; d’autre part, retrouver une conception originale de l’apocalypse (contre la dégénération gnostique), un apocalypse associé à la logique de l’incarnation, de la génération et de la médiation, associé au “problème du fin do temps dans le temps qui passe”. Toute cet élaboration est chargé de revitaliser la religion comme relegere, comme soin (comme non négligence), como l’avez dit Michel Serres, un soin pour lequel la diplomatie est chargé. Pourriez vous nous parler de la place de la théologie politique et de la religion dans vos réflexions récentes, en montrant comment elle s’attache au fil des études précédentes sur l’énonciation religieuse, dans Jubiler par exemple ?
- Le problème de la relation entre la guerre et la paix est un autre fil conducteur de son travail. Dans vos études de laboratoire, vous mettez en jeu la relation de guerre, de paix et d’association entre les humains et les non-humains ; dans votre reconstitution de la relation entre science et politique, vous montrez comment la philosophie a déclaré la guerre à la foule en la plaçant dans la grotte ; dans Nous n’avons jamais été modernes, vous dites que la Constitution moderne est née d’un dispositif scientifique-politique traitant de la guerre civile ; dans Politiques de la nature, vous supposez qu’il n’y a pas d’association sans ennemi. Bon, il est en thème récurrent, mais en Face à Gaïa, il me semble que votre réflexion prend un caractère plus dramatique, plus tragique – et plus dangereux – avec Carl Schmitt, quand vous supposez une fois pour toutes que nous sommes en guerre, que nous devons déclarer notre ennemi et nous mettre en défense de nos “territoires de vie”, du Lebensraum. C’est “reconnaître que nous sommes en guerre pour pouvoir construire une paix possible” – telle est la devise, me semble-t-il. En fin de compte, je crois que vous êtes toujours un penseur de la paix et de la diplomatie, où “la politique est le processus de composition d’un bon monde possible, voire du meilleur monde possible”. M. Latour, pourriez-vous nous préciser comment vous envisagez la guerre, la paix et la politique, que ce soit dans une dimension plus ontologique, ou d’un point de vue plus stratégique aujourd’hui, face au Nouveau Régime Climatique ?
- Terminons en pensant au problème politique par excellence: que faire? Et il sera inévitable d’en parler sans se souvenir que nous faisons cet entretien au lendemain des élections américaines. Dans les deux dernières conférences Face à Gaïa, ainsi que dans Où atterrir, vous abordez ces enjeux politiques. Je pense que la clé est la reconnaissance que la question sociale ne peut plus être déconnectée de la question climatique (au sens le plus large du climat), et vice versa. Les conflits à l’ère de l’anthropocène, qui est l’époque de la géo-historique, sont et seront de plus en plus géo-sociaux et géopolitiques. Cela exige, à mon avis, une nouvelle esthétique et de nouvelles institutions. Dans la dimension esthétique, vous apportez la responsabilité de Donna Haraway et le besoin d’une activité de géo-formation, un effort pour décrire de manière exhaustive les terrains de la vie. Et dans la dimension institutionnelle, vous apportez dans le Thêatre d’Amandier. Latour, pourrions-nous terminer par votre réponse à ces deux points: comment est-il possible faire une resensibilisation terrestre pour l’ère de la géo-histoire? Et quelles institutions pourront servir de médiateur au rétablissement d’une paix possible?
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